L’islam fracturé entre sunnisme et chiisme
par Dan Murphy
17 février 2007
Le Caire – Pour le non initié, les différences entre les branches sunnite et chiite de l’islam sont difficile à reconnaître.
Les cinq piliers de l’islam – prières quotidiennes, jeûne de ramadan, aumône, pèlerinage à la Mecque et croyance dans un Dieu un et unique – sont au cœur des deux fois et la plupart des hommes de religion modérés des deux branches reconnaissent les adhérents de l’autre comme des musulmans légitimes.
Le Coran est le texte sacré pour les deux. Toutes deux croient que Mahomet est le prophète et qu’il y aura une résurrection suivie d’un jugement dernier à la fin des temps.
Pour ajouter à la confusion, de nombreux musulmans refusent d’être identifiés en tant que chiites ou sunnites, affirmant être des musulmans tout court.
Cependant, comme l’ont montré les récents évènements en Irak et au Liban, les différences entre les croyants sont non seulement considérées comme importantes par les communautés mais elles sont également, aujourd’hui comme ce fut le cas pendant des siècles, au cœur de sanglantes luttes politiques.
Bien qu’il y ait des différences superficielles entre les branches – en terme de prière et de réalisation des ablutions, par exemple - le conflit entre les deux est depuis longtemps d’ordre politique.
La scission entre les deux principales branches de l’islam date d’il y a presque 1400 ans et a commencé par une dispute sur le choix de celui qui devait prendre la tête des croyants après la mort du prophète Mahomet en 632. Un camp pensait que seuls les descendants directs du prophète devaient revêtir l’habit de calife – le commandeur des croyants à travers le monde. Ils étaient connus sous le nom de Chi’at-Ali ou « partisans d’Ali » en référence au cousin et beau-frère du prophète, Ali, qu’ils souhaitaient voir devenir calife. Avec le temps ils devinrent simplement connus sous le nom de Chiites.
L’autre camp, les Sunnites, pensait que tous hommes qui en étaient dignes pouvaient prendre la tête des croyants, quel que soit leur lignage, et souhaitait qu’Abou Bakr, qui avait été l’un des premiers à se convertir à l’islam et dont la femme était de la famille de Mahomet, devienne calife. Sunnite vient du mot arabe pour « fidèles » et est un diminutif de « fidèle à la voie du prophète ».
Au final ce sont les Chiites qui furent les perdants d’une lutte violente pour le pouvoir qui dura des décennies, ce qui est reflété par leur situation aujourd’hui minoritaire au sein de l’islam mondial.
Cependant, bien que la guerre civile qui fait aujourd’hui rage en Irak entre Chiites et Sunnites est parfois présentée comme un prolongement de cette lutte religieuse séculaire, le conflit actuel est quelque peu différent.
Bien que les différences soient réelle et restent importantes, la division entre Chiites et Sunnites en Irak a à voir autant avec les identités de groupe qu’avec les divergences en matière de culte.
En Irak, de nombreux Sunnites et Chiites qui ne sont pas particulièrement pieux participent aux massacres, se battant pour défendre les intérêts de leur groupe.
« Je pense que les identifiants de groupe sunnites et chiites sont devenus plus importants de bien des manières qui n’ont au fond pas trait à la religion » explique Barbara Petzen, une experte au Centre d’Etudes sur le Moyen-Orient à l’université de Harvard.
Il y a néanmoins des différences religieuses clés. La vénération de la sainte famille, c'est-à-dire les descendants du prophète Mahomet, ont contribué à une la mise en place d’un clergé beaucoup centralisé et hiérarchique que dans le monde sunnite.
Tous les Chiites pratiquants suivent en théorie les conseils d’un ayatollah sur la manière dont ils doivent suivre la loi de l’islam, ou charia, dans le contexte moderne. Pour nombre d’entre eux en Irak, ce rôle est joué par l’ayatollah Ali Al-Sistani.
L’islam sunnite est beaucoup moins centralisé. Dans ce domaine, les différences entre sunnites et chiites ressemblent superficiellement aux différences entre les catholiques romains et la plupart des églises protestantes.
Bien qu’ils soient en majorité en Iran et en Irak, les Chiites ne représentent pas plus de 15% des musulmans du monde. Leur histoire faite de défaites et de fréquents épisodes de subjugation a également contribué à la création d’un culte de la mort et du martyre au sein du chiisme.
Les plus importantes fêtes religieuses chiites marquent les défaites glorieuse et le martyre de l’imam Ali et de l’imam Hussein, le fils d’Ali, comme l’illustre bien l’importante fête chiite d’Ashura qui marque le meurtre de Hussein et de ses partisans par un calife sunnite en 680 devant la ville de Karbala.
En Irak et en Iran, ces jours saints sont marqués par des processions élaborées où des hommes rejouent leur version du mystère de la passion, nombre d’entre eux se flagellant avec des chaînes au son des tambours.
De telles manifestations de piété sont observées avec dégoût par les Sunnites conservateurs tels que les hommes de religions d’Arabie Saoudite qui considèrent la vénération de Hussein et des autres membres de la famille du prophète comme une violation du monothéisme. Cette perspective a souvent amené des groupes extrémistes à s’en prendre aux Chiites considérés comme hérétiques.
Le fait que les Chiites aient longtemps été opprimés – d’abord sous l’empire ottoman, puis plus tard par des états comme l’Irak ou l’Arabie Saoudite – a fait naître une identification avec les injustices dont fut victime Hussein et ont donné une dimension politique à la pratique religieuse chiite. La célébration d’Ashura, par exemple, fut interdite par Saddam Hussein qui craignait qu’elle ne dégénère spontanée en soulèvement.
L’une des plus importantes différences entre les fois chiite et sunnite est la vénération des imams.
La plupart des Chiites croient qu’il y eut 12 successeurs légitimes de Mahomet, 12 califes et que le dernier calife, aujourd’hui appelé Mahdi, a disparu en étant emmené par les bras de Dieu. De nombreux Chiites croient que le Mahdi reviendra sur terre un jour et jouera le rôle de sauveur. Une bataille entre les forces du bien et du mal s’ensuivra qui s’achèvera par une ère de paix de mille ans, suivie par la fin du monde.
Dans la pratique, cela amène occasionnellement des dirigeants comme Moqtada al-Sdr en Irak et le président iranien Mahmoud Ahmedinejab à employer une rhétorique apocalyptique.
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* Dan Murphy est correspondant pour le Christian Science Monitor. Matt Bradley, également correspondant, a aussi contribué à cet article. Cet article est distribué par le service de presse Common Ground (CGNews) et est accessible en ligne sur www.commongroundnews.org.
Source : Christian Science Monitor, 17 janvier 2007, www.csmonitor.com
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